1979 – 11 minutes – 16 mm Eastman Color – Son
optique.
(Dessin de Marc-Éric Chambon.)
« Que faire maintenant de ce héros abandonné de sa
maîtresse et de ses compagnons ? N’est-ce en vérité qu’un comédien
de hasard, justement puni de son irrévérence envers le public, de sa sotte
jalousie, de ses folles prétentions ? Comment arrivera-t-il à prouver
qu’il est le propre fils du khan de Crimée, ainsi que l’a proclamé
l’astucieux récit de La Rancune ? Comment de cet abaissement inouï s’élancera-t-il
au plus hautes destinées ?… Voila des points qui ne vous
embarrasseraient nullement sans doute, mais qui m’ont jeté dans le plus étrange
désordre d’esprit. Une fois persuadé que j’écrivais ma propre histoire,
je me suis mis à traduire tous mes rêves, toutes mes émotions, je me suis
attendri à cet amour pour une étoile fugitive qui m’abandonnait seul
dans la nuit de ma destinée, j’ai pleuré, j’ai frémi des vaines
apparitions de mon sommeil. Puis un rayon divin a lui dans mon enfer ;
entouré de monstres contre lesquels je luttais obscurément, j’ai saisi le
fil d’Ariane, et dès lors toutes mes visions sont devenues célestes. Quelque
jour j’écrirai l’histoire de cette « descente aux enfers », et
vous verrez qu’elle n’a pas été entièrement dépourvue de raisonnement si
elle a toujours manqué de raison.
« Et puisque vous avez eu l’imprudence de citer un
des sonnets composés dans cet état de rêverie super-natutraliste, comme
diraient les Allemands, il faut que vous les entendiez tous. Vous les trouverez
à la fin du volume. Ils ne sont guère plus obscurs que la métaphysique d’Hegel
ou les Mémorables de Swedenborg, et
perdraient de leur charme a être expliqués, si la chose était possible ;
concédez-moi du moins le mérite de l’expression ; – la dernière
folie qui me restera probablement, ce sera de me croire poète : c’est à
la critique de m’en guérir. »
Gérard de Nerval
« À Alexandre Dumas »,
préface de Les Filles du feu.
Le film traduit par un plan chaque mot du poème El
Desdichado de Gérard de Nerval, et garde l’ordre des vers. Il ne prétend
pas rendre le sens (supposé unique !) du sonnet, mais seulement l’un
des sens possibles – celui d’un lecteur contemporain.
Le Destin
Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé
Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie :
Ma Seule Étoile
est morte, – et mon luth constellé
Porte le Soleil noir
de la Mélancholie.
Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m’as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie
La fleur qui
plaisait tant à mon cœur désolé
Et la treille où le Pampre a la Rose s’allie.
Suis-je Amour ou Phoebus ?… Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine
J’ai rêvé dans la Grotte où nage la Syrène…
Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Acheron :
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.
Gérard de Nerval
Générique
El Desdichado, sur une idée de François
Letaillieur, a été réalisé par Pierre Jouvet d’après le-poème de Gérard
de Nerval.